Bruno Christiaens
Président
Apparition du coavionnage
Le coavionnage a fait son apparition dans le paysage aéronautique français dès l'année 2015, avec la promesse d'une facilitation des déplacements aériens.
Cette solution étant inspirée du modèle du covoiturage, où chaque occupant partage de manière équitable les frais directs engagés par le déplacement.
En théorie, tout le monde y trouvait son compte : les utilisateurs non pilotes bénéficiaient d'une nouvelle manière de se déplacer dans les airs, et les utilisateurs pilotes une occasion de voler à moindres coûts, élargissant le cercle jusque-là plutôt étroit des personnes qu'ils étaient autorisés (tolérés) à embarquer contre participation aux frais.
Nouvelle réglementation europénne, premières réponses françaises
Pourquoi en reparler maintenant ? Car depuis la publication d'un avis officiel de l'Agence Européenne de Sécurité Aérienne (AESA), l'autorité française de référence, la Direction Générale de l'Aviation Civile, avait notifié à l'EASA un régime dérogatoire, plus strict, qu'une décision du Conseil d'Etat vient d'annuler.
Coavionnage : le Conseil d’Etat annule la décision de la DGAC https://t.co/ftbkXy0lMz
— AeroBuzz.fr (@AeroBuzzfr) 26 juin 2017
Ce nouveau terme dans le vocable aéronautique avait provoqué une levée de boucliers, autant au niveau des professionnels du transport qu'au sein des fédérations aéronautiques, et des aéro-clubs.
Mais cette nouvelle décision du Conseil d'Etat ne modifie pas la donne, du point de vue juridique, fiscal et concernant les assurances, en cas d'accident aérien lors d'un vol de coavionnage.
Evolution fédérale ?
Dans une annonce du 11 juillet, un site de coavionnage et la FFA (article Aerobuzz) annoncent préparer la mise en place d'une solution encadrant cette pratique à l'attention des potentiels passagers.
Cet article souligne également que les présidents d'aéro-clubs conserveront le dernier mot sur la question : et c'est bien là tout le sujet.
Prises de position initiales (toujours en vigueur)
Au mois de septembre 2015, suivant un communiqué de presse de la Direction Générale de l'Aviation Civile relayé par la Fédération Française Aéronautique, l'aéro-club Jean Mermoz prenait officiellement position contre la pratique du coavionnage, devant les a priori négatifs entraînés par une telle pratique, y compris des précédents juridiques dont l'épilogue n'est toujours pas terminé.
Cette position devait être entérinée par une modification des statuts et du réglement intérieur de l'aéro-club, lors de l'Assemblée Générale qui avait suivi en avril 2016.
Les points-clés de cette position de septembre 2015 :
- La pratique des Vols de Découverte (alors dénommés vols d'initiation) est une activité dérogatoire effectuée sous des conditions strictes d'expérience totale et récente du pilote, sous l'autorisation du Président.
Cette activité est nécessaire aux aéroclubs, pour leur permettre de promouvoir l'aviation auprès du public et susciter l'intérêt des futurs pilotes, qui peupleront dans un premier temps les cercles de loisir, avant d'ensuite s'orienter vers des milieux professionnels (l'aviation commerciale) ou sportifs (rappelons que la France détient tous les titres de champion du monde dans les sports aériens).
Permettre des abus dans ce domaine, c'est rendre ardue la tâche à ceux qui défendent ce régime dérogatoire. Au premier chef desquels, la Fédération Française Aéronautique.
- À l'époque, même les pilotes professionnels ne pouvaient pas développer une telle activité sans l'établissement d'un Certificat de Transporteur Aérien (CTA), une position que la DGAC a un temps cherché à explorer pour encadrer le coavionnage.
- La DGAC mettait déjà tous les pilotes en garde contre le coavionnage, et les conséquences directes de sa pratique. La Gendarmerie des Transports Aériens s'est montrée vigilante sur ce sujet, prête à verbaliser tout pratiquant constaté : la conséquence potentielle en était alors une convocation devant un Conseil de Discipline du Personnel Navigant (une instance qui concerne aussi les pilotes privés), pouvant aller jusqu'au retrait de la licence.
- C'est là le point le plus important, déjà valable en septembre 2015 et qui l'est toujours en juin 2017 : les pilotes, l'aéroclub ni les passagers potentiels ne sont assurés pour ces vols, qui sortent de l'exploitation normale de l'aéroclub.
En cas d'accident, même mineur, le juge cherchera à établir les responsabilités avec une question: Qui va payer ?
Ne parlons pas d'accident ou de blessures corporelles...ou plutôt si, parlons-en ! Car notre activité, même si elle est encadrée, n'est pas sans risque: en cas d'accident, les passagers et/ou leurs ayants droits se retourneront vers les avocats pour être indemnisés, y compris par la famille du pilote s'il n'est plus là pour le faire.
Et par le club, aussi.
Deux précédents judiciaires viennent illustrer les conséquences d'accidents dans de telles circonstances :
- Le 18 juin 2000, un bimoteur s'écrasait (article de la Dépêche du Midi) lors d'un vol organisé et annoncé par le CE d'une entreprise. Le propriétaire de l'avion, au-delà du choc moral de l'accident, ainsi que le club qui exploitait l'appareil, ont risqué de tout perdre (vente des biens), malgré l'absence de mise en cause de l'état technique de l'avion.
Au final, le CE de cette entreprise a été lourdement condamné pour avoir organisé cette sortie et en avoir largement fait la publicité.
- Plus récemment, sur l'aérodrome de Sainte-Léocadie, un accident sans conséquences mortelles (voir le rapport du BEA) a été porté devant les tribunaux. Le club a été condamné en première instance, car il y avait eu publicité active pour ces baptêmes.
Aux pilotes qui souhaitent voler plus facilement, nous répondons : participez aux sorties club, ou bien proposez vos idées de vols aux autres pilotes de l'aéroclub (une solution privée, réservée aux membres adhérents).
Le succès de ces sorties club, et le renouvellement dans ses participants, ne saurait en démentir l'intérêt, ni la cohésion qu'il apporte à l'aéroclub, une association dont le but premier est avant tout de rassembler ses participants dans la pratique de l'aviation.
Quand il s'agit d'un voyage club, comme réalisé au mois de mai 2017 vers la Corse, il s'agit avant d'équipages constitués d'adhérents du club qui se retrouvent à la même destination, mais chaque Commandant de Bord choisit son itinéraire, et prépare son propre vol pour rejoindre cette destination.
Pilotes Vos outils à l'aéro-club | Passagers ? Devenez pilotes |
Pour rappel, hors toute considération de coavionnage qui reste à entériner par tous les acteurs concernés (au premier lieu duquel les assurances), les seules personnes autorisées à embarquer avec un pilote privé, pilote de loisir, outre les autres adhérents du club (pilotes ou élèves), sont sa famille et ses amis proches (les vrais, ceux qu'il connait avant le vol), voire les amis de ses amis...
Dans un seul but : faire découvrir notre activité.
Cependant, en cas d'accident, il n'y aura plus de famille ou d'amis...seules des demandes d'indemnisation. Certaines précautions sont à prendre : par exemple, qui, pour emmener des mineurs, demande une autorisation écrite des parents ? Et même des 2 si ceux-si sont séparés ? Il doit être possible d'imaginer d'autres cas juridiquement intéressants !
Conclusion
Pour assurer la sauvegarde de l'aéro-club, de ses salariés, des adhérents et aussi de l'avenir personnel du Président en exercice, ces pratiques ont été, et restent à ce jour, formellement interdites.
Extrait du réglement intérieur de l'aéroclub, dans sa version en vigueur du 8 septembre 2016 :
4.2. Coavionnage
En revanche, ne sont pas autorisés les vols à frais partagés réalisés par l’intermédiaire ou aux moyens de sites Internet ouverts au grand public.
De même, la mise en relation avec des personnes inconnues du pilote via des dispositifs d'entreprise n'est pas autorisée.
En cas d'accident survenant dans le cadre d'un vol qui aurait été effectué par coavionnage malgré cette interdicition, se retourneront contre le pilote et/ou ses ayant droits :
- l'aéro-club,
- son Président,
et ce via les protections offertes à l'aéro-club par son assureur, ainsi que la Fédération Française Aéronautique.
Ces poursuites ne préjugeant bien sûr pas des suites données par la Direction Générale de l'Aviation Civile.
Je reste à la disposition de ceux d'entre vous souhaitant obtenir des informations plus précises sur ces dispositions.